Lettre à John Lasseter (aka « mon coup de gueule »)
Cher John,
Je ne suis qu’un simple réalisateur de courts métrage d’animation français qui doit, en plus, gagner sa vie en se faisant exploiter dans un magasin de produits haut de gamme… mais je souhaite vous écrire cette lettre que, de toute façon, vous ne lirez sans doute jamais… d’autant que ladite lettre n’est pas en anglais.
Tout d’abord, un rapide résumé de votre parcours.
Diplômé de la prestigieuse école CalArts, où vos amis sont les futurs réalisateurs de Ratatouille, de La Petite Sirène, d’Aladdin ou encore un certain Tim Burton, vous êtes engagés en 1979 aux studios Disney pour travailler sur Rox & Rouky, Le Noël de Mickey et Tron… et le potentiel que représentent les ordinateurs commence à trouver une résonnance en vous.
En 1984, licencié de Disney (qui a du mal à tourner la page de « l’après Walt »), vous travaillez pour la toute jeune division infographie de ILM, la société d’effets spéciaux de Georges Lucas. Vous créez alors le premier court métrage 100% en images de synthèse, Les Aventures d’André et Wally B.
En 1986, faute de rentabilité, Lucas revend ladite division à un certain Steve Jobs, alors ancien PDG d’Apple. Dès lors, la société se renomme Pixar Animation Studios et l’aventure commence : le studio crée quelques courts métrages qui ont un succès croissant (comme Luxo Jr, la fameuse lampe qui deviendra l’emblème des studios Pixar) mais, comme beaucoup de petits studios, il faut aussi mettre en image des spots publicitaires pour faire rentrer de l’argent frais.
Comme vos liens avec Disney restent palpables, que ces derniers traversent un nouvel Âge d’Or créatif et cherchent à garder leur image de pionnier et de leader dans le monde de l’animation (et que vos courts métrages sont populaires et de bonne facture), un deal de distribution est signé et, de 1991 à 1995, Disney vous aide à mettre en place scénaristiquement et financièrement ce qui deviendra le 1er long métrage en images de synthèse de l’histoire du cinéma: Toy Story.
La suite, tout le monde la connait : chaque film estampillé Pixar, malgré la concurrence croissante des autres studios (Blue Sky (l’Âge de Glace) et Dreamworks (Shrek) en tête), explose les chiffres du box office : c’est un succès populaire et visuel car, tant dans l’histoire que dans les images, rien n’est laissé au hasard dans les films tels que 1001 Pattes, Le Monde de Némo ou Ratatouille.
Votre talent de conteur et votre image joviale de grand enfant aux chemises hawaïennes plaisent aux médias, lesquels ne tardent pas à vous sacrer comme « le nouveau Walt Disney ».
En 2006 , les studios Disney, en perte de vitesse à cause d’un mauvais management de Michael Eisner (qui produit des films sans imagination, des suites de piètre qualité et ferme la division animation 2D des célèbres studios aux grandes oreilles), se débarrassent de ce dernier, choisissent Bob Iger en tant que nouveau PDG et rachètent Pixar pour la coquette somme de 7,4 milliards de Dollars : vous voilà bombardé directeur créatif des studios Disney et Pixar ainsi que conseiller créatif de Walt Disney Imagineering (la branche Disney qui imagine et construit les attractions des parcs à thèmes Disney à travers le monde).
Le monde entier crie au miracle et adoube votre accession à ces postes, attendant le meilleur.
Ayant carte blanche, vous retravaillez les films Disney en cours de développement pour les rendre plus plaisants (Bienvenue chez les Robinsons (2007) et Volt (2008) ), vous faite revivre de ses cendres le département animation 2D des Walt Disney Animation Studios et lancez dans la foulée la production de La Princesse et la Grenouille (de vos amis déjà réalisateurs de La Petite Sirène ) et vous relancez la productions de courts métrages plus cartoon, comme c’est déjà le cas chez Pixar depuis le début.
En parallèle, vous donner un petit coup de tonus aux attractions des parcs, auxquels vous êtes attachés depuis que, plus jeunes, vous œuvriez dans l’attraction Jungle Cruise, à Disneyland (Californie).
Et là, c’est le drame.
Après votre arrivée fracassante et annoncé comme le Sauveur des studios Disney, le département animation 2D ne produit que La Princesse et la Grenouille (2009) et Winnie l’Ourson (2011) et ce qui était annoncé comme le troisième Age d’Or des Studios Disney se termine rapidement avec le très beau film en 3D Raiponce (2010)… quant aux projets de cartoons, après une période de foisonnement, on en entend à peine parler.
Côté Pixar, le scénario de Toy Story 3, s’il joue sur la corde sensible facile des sentiments et est couronné d’un nouvel Oscar, n’est pas exceptionnel et Car 2 est bien décevant par son côté « James Bond mais en moins bien ».
Enfin, côté parcs Disney, au lieu de continuer dans la lignée des grandes attractions populaires sans thématiques réellement marquées par Disney mais d’une qualité visuelle parfaite (Phantom Manor, Pirates des Caraïbes, etc), vous « pixarisez » chaque parc avec l’intrusion d’attractions du type Toy Story Playland, qui sont finalement de simples manèges de fête foraine customisés à la sauce Toy Story comme la fameuse « chenille » avec le chien Zig-Zag, la variante du « bâteau pirate » avec l’auto radioguidée de Toy Story ou encore les « chutes libres », avec les parachutistes du même Toy Story. Et ce en attendant l’attraction de Disneyland Paris autour du thème de Ratatouille.
Au lieu de dénaturer l’esprit originel de Disneyland, faites donc construite un « PixarLand » pour le confort de votre égo, ça sera plus simple.
Quant aux films, il existe une maxime qui dit qu’à tout vouloir faire, on fait tout mal… alors recentrez-vous et ravivez les scénarios inventifs ainsi que le pauvre département 2D des studios Disney qui a bien cru à un renouveau alors qu’au final, faute de boulot, tous ses animateurs sont partis à la concurrence ou attendent patiemment qu’on fasse de nouveau appel à eux pour un prochain long métrage.
Il ne faudra pas vous plaindre quand Dreamworks sortira LE chef d’œuvre avec, au générique, la plupart de vos anciens collègues ou salariés.
PS : niveau scénario Pixar, il faudrait un peu varier du road movie ! Le scénario qui tourne autour de deux personnages principaux ( le gros-balaise-calme et le petit-surexcité (ou vice-versa) ), ça va bien un moment mais il faudrait voir d’évoluer un peu. J’espère que Rebelle, votre cru 2012, saura nous surprendre.
J’espère que vous saurez tenir les promesses que vous aviez faites au monde entier lors de votre accession au trône créatif de Disney/Pixar car, après un départ flamboyant, les fans auxquels on avait fait miroiter tant de merveilles restent sur leur faim.
Cordialement.